Mais tout en filmant ce qui ne devait être qu'un petit reportage, l'ampleur du "phénomène Bernard Thomas" nous a interloqué : instrus au synthétiseur, look ringard, textes pathétiques, Bernard Thomas en Belgique, c'est un peu comme si Frank Michael avait pris la place de Johnny Hallyday en France. Et pourtant son succès ne se dément pas: en 7 ans, son omniprésence médiatique n'a fait que se renforcer. Jamais, depuis Jacques Brel, un artiste n'avait connu une telle notoriété dans le plat pays.

Très vite, il nous a paru clair que derrière le succès authentique du chanteur se cache en réalité une grosse machinerie, voire une obscure machination. Comment les belges ont-ils pu adhérer en masse à des chansons d'une telle ineptie? Pourquoi, avec un tel succès, Bernard Thomas ne s'est-il jamais produit dans son pays d'origine, la France ? Pourquoi une étrange société nous interdit-elle de rencontrer le chanteur ? Qui tire les ficelles du succès de Bernard Thomas ?

Bernard Thomas méritait davantage qu'un simple reportage. Pendant près de deux ans, nous avons tenté de percer les secrets de sa gloire.

En s'intéressant au destin d'un chanteur de variétés, les réalisateurs ne pensaient pas qu'un sujet aussi inoffensif allait leur poser tant de problèmes. "A partir du moment où on a compris que le succès de Bernard Thomas avait été fabriqué, tout est devenu très compliqué…" se rappelle Jean-Pierre Leduc. Cassettes de rushes qui disparaissent, menaces, annulation d'interviews, aborder le sujet de Bernard Thomas avec certaines personnes peut jeter un froid…

"On pensait faire un documentaire musical, on s'est retrouvé à faire du "Capital" ...»…

Le plus difficile fut surtout d'enquêter sur un personnage "invisible": jamais le producteur de Bernard Thomas n'acceptera de laisser l'équipe s'entretenir avec le chanteur… Heureusement, nombreux sont ceux dans l'entourage du chanteur à avoir accepté de s'exprimer à son sujet, permettant de dresser un portrait assez complet du personnage.

Du fait de son omniprésence, certains observent avec inquiétude l'ascension de cet artiste parti de rien et critiquent la manière dont il a été adopté par tous au nom d'une "belgitude" aussi usurpée que factice… "Sa musique est objectivement lamentable et vu de l'extérieur on ne comprend pas très bien comment un truc pareil peut marcher…" observe Patrick Eudeline.

Au fil des entretiens, de plus en plus de zones d'ombre sont apparues autour de Bernard Thomas, au point que les réalisateurs se demandent si ce n'est pas Bernard Thomas lui-même la vraie victime de son succès…

Avec la participation de prestigieux intervenants, de Thierry Ardisson à Noël Godin, en passant par Olivier Lejeune, Jean-Luc Fonck ou Patrick Eudeline, "Bernard Thomas, les secrets de la gloire" démonte, en 52mn, les rouages d'une "machine à tubes" fabriquée de toutes pièces. Bien que les tentatives d'entraver la finalisation du film aient été nombreuses, c'est finalement grâce à un gros travail de reconstitutions, de documentation et de recherches d'archives que les réalisateurs ont réussi à lever le voile sur cette "success story" belge. "Dès qu'on voulait récupérer des images d'archives, les télévisions nous les facturaient à un prix prohibitif, pour être sûr qu'on ne les utilise pas" explique Guillaume Bruneau. "La plupart du temps, on a donc utilisé des images jamais diffusées, en allant fouiller les caisses de rushes de différentes sociétés de production".

Avec des documents pour la plupart exclusifs, "Bernard Thomas, les secrets de la gloire" est une plongée sidérante dans le music-business d'aujourd'hui.